Vague sur vague, ton sur ton, gris tempête.
Sur le fil de l’horizon, entre ciel et mer,
danse un homme, pinceau à la main,
il tourne, bondit et peint le ciel vert de gris,
puis s’échappe.Changement de plan, mur-paravent,
toile de fond d’un quotidien connu et reconnu,
où le sculpteur est sculpté,
jouet d’une invisible main
qui le chatouille, le balade et le tire vers son destin.Plan fixe sur une clairière urbaine,
halo schizophrénique décomplexé sur un mobil home nu,
fondant à l’écran,
agonisant dans une plainte « d’après moi le déluge « ,
tournant en loop indigeste.Fondu au vert, ouverture diaphragme lent,
Trop de spectacle tue le spectacle.
un cube dans un cube,
un puits quadrilatère ouvrant sur le vide
contenu dans un bac transparent de béton concept,
copulation archi-angulaire de néant trompe l’oeil.
dans la salle, c’est le silence,
un silence d’effroi ou de froid extrême,
les jeunes gens se serrent les uns contre les autres,
leur sang se fige,
leurs yeux de biche effarés pris dans la glace
stroboscopique d’un 24 images seconde de trop.
C’est à ce moment précisément,
que l’ouvreuse marchande de glace fait son entrée,
une rose pourpre fichée dans son chignon survitaminé.
Spectres jusque là,
tous saisissent, à cet instant hasardeux
le sens caché derrière l’écran,
qui justement devient opaque,
plein d’une fumée sans feu remplissant chaque pore de sa peau tendue
à l’extrême.
Plein feu sur une dernière séance,
changement de monde,
on bascule la caméra sur l’épaule, au cœur de l’action.
On peut voir une salle d’enfants, de femmes et d’hommes,
tous debout, mains tendues, les poings serrés,
vers le grand écran qui fond,
sans verser de cendres,
devant leurs regards indescriptibles.
Soudain,
les mains s’ouvrent toutes,
dans un même souffle créateur,
et apparaissent en suspens
des images ou plutôt des hologrammes
aux contours encore flous
mais qui gagnent en netteté en prenant de l’assurance et de la hauteur.
Des êtres vivants, humains, animaux, arbres, fleurs,
et des prairies, des rivières, des forêts, des montagnes,
et aussi des maisons, des voiliers, des fusées,
mais des chimères aussi,
quelques absurdes constructions
mais surtout d’ingénieuses et merveilleuses projections
surgissent de leurs paumes, poussent, grandissent
et se dirigent toutes vers ce qui était jusqu’à maintenant
la frontière à leurs réalisations.
Le spectacle est mort. Vive le spectacle.
Bientôt ce sont les enfants, les femmes et les hommes eux-mêmes
qui accrochés à leurs projections respectives
s’élèvent à leur tour.
Vue de l’oeil de celui qui était le projecteur,
logé dans le noir en contre-haut derrière leurs dos obscurs.
Il assiste à la scène finale et la décrit ainsi,
privé de caméra, objet de transmutation devenu brusquement obsolète.
« C’est absolument apocalyptique, disons pour le moins totalement psychotropique! En ce moment même, ils traversent tous l’écran qui s’est remis à diffuser une lumière, ou plutôt à l’infuser, c’est étrange !
On distingue un paysage que rejoignent tour à tour ces spectres-acteurs survoltés.
Mon Dieu c’est du Magritte ! »
Vague sur vague, ton sur ton, gris tempête.
Sur le fil de l’horizon, entre ciel et mer,
là où dansait un homme pinceau à la main,
se tiennent en équilibre les premiers arrivés,
qui attendent les autres.
Lorsqu’ils sont tous là, jusqu’au dernier,
alors commence leur danse hypnotique, pleine d’intention et d’imagination,
ils tournent comme des derviches, bondissent comme des tigres
et de leurs pinceaux de bois dur
peignent le ciel, la mer, et la terre de leurs désirs réveillés.
Et bientôt,
l’air se gonfle, vibre, se tend et se compresse,
puis se détend et s’ouvre finalement,
pour laisser apparaître un nouveau monde chargé de sens.
Et le dernier spectateur, ultime témoin, nécessaire preuve vivante,
logé au creux d’un nuage au cœur de la peinture du monde,
assiste,
les yeux embués de larmes d’émotion
et le cœur battant à rompre sous sa poitrine frêle,
à la naissance d’une ville.
Une ville planète porteuse de tous les rêves humains.
Une ville dans les étoiles.
Sevisan Nhook
Ecrire comme un acte magique
Il y a quelque temps j’avais écrit un texte sur l’acte d’écrire, ce qu’il représentait pour moi.
Ecrire comme un acte de résistance, au temps qui passe, à l’effacement, à la confusion des idées, des sens et des émotions.
Utiliser l’écriture comme refuge mémoriel lorsque les avalanches régulières du temps recouvrent le paysage de sa jeunesse, se fixer ainsi, à jamais, par écrit.
Autre temps, nouvelle vision, même si je peux encore me reconnaître dans cette version de mon » Pourquoi j’écris? » Aujourd’hui est un autre Présent, où moi écrivant, je pose une analyse alternative ou simplement additionnelle sur mon écriture.
Ecrire comme un acte magique, de création, de création de temps avant tout.
Mes écrits d’aujourd’hui sont les enfants des désirs créateurs qui peuplent mon passé d’écrivant.
Et c’est parce que je met beaucoup d’intention, et de présence à chaque fois que j’écris, porté par mon désir du moment et par ceux encore à venir, que je permet d’ancrer et de faire exister mes mots et autres incantations dans une version du passé plus réelle que les autres. Et c’est fort de cette filiation aux racines profondes, que les mots d’aujourd’hui peuvent prétendre à plus de réalité encore et permettre à un moi écrivant, plus créateur et peut-être aussi plus libre de prendre corps et d’exister.
J’écris pour vivre toujours un peu plus près de moi donc j’écris pour avoir plus d’influence sur le cours des évènements, sur le cours du temps, favoriser une certaine vision du futur au détriment de toutes les autres versions potentielles pré-existantes. Essayer d’influer sur son moi de demain en cherchant à gagner en volonté et clairvoyance dans son écriture.
Ecrire c’est exister.
Je crois en la force de l’intention, je crois au libre arbitre, je crois qu’on peut s’affranchir de notre conditionnement programmé de base.
J’écris et parce que je crois en ma liberté je crée par là même de la réalité. Et parce que j’y met mon intention, ma force de conviction, mon puissant désir et toute mon imagination et aussi parce que je vis ce que j’écris, que je ressens dans ma peau et mes tripes ce que j’écris, je projette une version personnelle du monde qui prend corps dans la réalité partagée, et qui elle même me reconditionne et sculpte mon univers, celui d’aujourd’hui et de demain.
Peu m’importe de savoir qui est le moteur initial de ma réalité, l’histoire que je crée ou moi l’écrivant.
Ecrire est plus que résister à l’usure et l’oubli, écrire c’est pour moi recréer le monde, le mien et le conjuguer au passé, présent et futur.