Pourquoi est-ce si dur, pour moi, d’écrire sur l’amour?
Comme si l’amour ne s’écrivait pas.
Je peux écrire sur le désir, sur la jalousie, sur l’attirance sexuelle, sur le dévouement mais l’amour véritable reste muet. J’ai l’impression que chercher à écrire sur l’amour est une tentative vaine, pour moi en tout cas.
Mettre des mots sur des forces invisibles ne les rend pas plus visibles, peut-être au contraire.
Ecrire » l’amour est une force » par exemple, est à la fois vrai mais aussi et surtout sujet à multiple interprétation. Les mots appartiennent au monde de ce qui doit faire sens, alors que ce que l’on désigne sous le vocable amour échappe à toute définition précise.
Mille définitions de l’amour pour mille personnes, comme mille tentatives de circonscrire une énergie à une idée. L’amour, pour moi, n’appartient en réalité pas au monde des idées, au domaine de la pensée mais à celui de l’Invisible, de l’Indicible, du Spirituel pourrait-on presque dire.
J’aime ma maman, mes enfants, j’aime ma compagne et j’aime aussi être là, j’aime le bon vin mais j’aime être dans le désert.
Et que me servirait de préciser, par adjonction de mots, l’intensité de mon amour, profondément, sincèrement, un peu, à la folie, pas du tout.
Exprimer son amour par des mots, une lettre, un plaidoyer revient à exprimer du mieux que l’on puisse quelque chose qui nous dépasse, nous entraîne, nous transcende. La beauté des mots, la force de conviction qui sous-tend une lettre d’amour est comme là pour témoigner, dans le temps et l’espace, que l’autre est essentiel, important, primordial à ses yeux.
Mais témoigner n’est pas vivre l’action. Le témoin est celui qui assiste à une scène dont il n’est pas l’auteur mais le spectateur. Ecrire l’amour, comme regarder une scène intérieure projetée à l’extérieur de nous même, avec notre regard subjectivé par tout un passé, une culture propre.
L’auteur est celui qui aime, et ce qui se passe à ce moment, semble plus universel, intemporel, dénué de significations culturelles, géographiques.
Alors écrire sur son amour, comme devenir spectateur de sa propre vie, acte quelque peu schizophrène. Ou alors imaginer de pouvoir stopper le fil de sa pensée, couper l’intellect, se laisser traverser par l’énergie de l’amour et sortir de soi un rejeton, une trace écrite, dessinée, peinte, sculptée, filmée, ou pleurée, chantée, dansée.