Ecrire comme un acte magique

Il y a quelque temps j’avais écrit un texte sur l’acte d’écrire, ce qu’il représentait pour moi.

Ecrire comme un acte de résistance, au temps qui passe, à l’effacement, à la confusion des idées, des sens et des émotions.

Utiliser l’écriture comme refuge mémoriel lorsque les avalanches régulières du temps recouvrent le paysage de sa jeunesse, se fixer ainsi, à jamais, par écrit.

Autre temps, nouvelle vision, même si je peux encore me reconnaître dans cette version de mon  » Pourquoi j’écris? » Aujourd’hui est un autre Présent, où moi écrivant, je pose une analyse alternative ou simplement additionnelle sur mon écriture.

Ecrire comme un acte magique, de création, de création de temps avant tout.

Mes écrits d’aujourd’hui sont les enfants des désirs créateurs qui peuplent mon passé d’écrivant.

Et c’est parce que je met beaucoup d’intention, et de présence à chaque fois que j’écris, porté par mon désir du moment et par ceux encore à venir, que je permet d’ancrer et de faire exister mes mots et autres incantations dans une version du passé plus réelle que les autres. Et c’est fort de cette filiation aux racines profondes, que les mots d’aujourd’hui peuvent prétendre à plus de réalité encore et permettre à un moi écrivant, plus créateur et peut-être aussi plus libre de prendre corps et d’exister.

J’écris pour vivre toujours un peu plus près de moi donc j’écris pour avoir plus d’influence sur le cours des évènements, sur le cours du temps, favoriser une certaine vision du futur au détriment de toutes les autres versions potentielles pré-existantes. Essayer d’influer sur son moi de demain en cherchant à gagner en volonté et clairvoyance dans son écriture.

Ecrire c’est exister.

Néon de Bruce Nauman

Je crois en la force de l’intention, je crois au libre arbitre, je crois qu’on peut s’affranchir de notre conditionnement programmé de base.

J’écris et parce que je crois en ma liberté je crée par là même de la réalité. Et parce que j’y met mon intention, ma force de conviction, mon puissant désir et toute mon imagination et aussi parce que je vis ce que j’écris, que je ressens dans ma peau et mes tripes ce que j’écris, je projette une version personnelle du monde qui prend corps dans la réalité partagée, et qui elle même me reconditionne et sculpte mon univers, celui d’aujourd’hui et de demain.

Peu m’importe de savoir qui est le moteur initial de ma réalité, l’histoire que je crée ou moi l’écrivant.

Ecrire est plus que résister à l’usure et l’oubli, écrire c’est pour moi recréer le monde, le mien et le conjuguer au passé, présent et futur.

Ecrire sur l’Amour

Pourquoi est-ce si dur, pour moi, d’écrire sur l’amour?

Comme si l’amour ne s’écrivait pas.

Je peux écrire sur le désir, sur la jalousie, sur l’attirance sexuelle, sur le dévouement mais l’amour véritable reste muet. J’ai l’impression que chercher à écrire sur l’amour est une tentative vaine, pour moi en tout cas.

Mettre des mots sur des forces invisibles ne les rend pas plus visibles, peut-être au contraire.

Ecrire  » l’amour est une force » par exemple, est à la fois vrai mais aussi et surtout sujet à multiple interprétation. Les mots appartiennent au monde de ce qui doit faire sens, alors que ce que l’on désigne sous le vocable amour échappe à toute définition précise.

Mille définitions de l’amour pour mille personnes, comme mille tentatives de circonscrire une énergie à une idée. L’amour, pour moi, n’appartient en réalité pas au monde des idées, au domaine de la pensée mais à celui de l’Invisible, de l’Indicible, du Spirituel pourrait-on presque dire.

J’aime ma maman, mes enfants, j’aime ma compagne et j’aime aussi être là, j’aime le bon vin mais j’aime être dans le désert.

Et que me servirait de préciser, par adjonction de mots, l’intensité de mon amour, profondément, sincèrement, un peu, à la folie, pas du tout.

Exprimer son amour par des mots, une lettre, un plaidoyer revient à exprimer du mieux que l’on puisse quelque chose qui nous dépasse, nous entraîne, nous transcende. La beauté des mots, la force de conviction qui sous-tend une lettre d’amour est comme là pour témoigner, dans le temps et l’espace, que l’autre est essentiel, important, primordial à ses yeux.

Mais témoigner n’est pas vivre l’action. Le témoin est celui qui assiste à une scène dont il n’est pas l’auteur mais le spectateur. Ecrire l’amour, comme regarder une scène intérieure projetée à l’extérieur de nous même, avec notre regard subjectivé par tout un passé, une culture propre.

L’auteur est celui qui aime, et ce qui se passe à ce moment, semble plus universel, intemporel, dénué de significations culturelles, géographiques.

Alors écrire sur son amour, comme devenir spectateur de sa propre vie, acte quelque peu schizophrène. Ou alors imaginer de pouvoir stopper le fil de sa pensée, couper l’intellect, se laisser traverser par l’énergie de l’amour et sortir de soi un rejeton, une trace écrite, dessinée, peinte, sculptée, filmée, ou pleurée, chantée, dansée.

Un morceau d’inutile qui me rend plus humain

Il existe un lieu inexploré ou plutôt inexplorable dans ce monde, qui m’est spécialement destiné. Peut-être existe t-il également pour vous tous, ou plutôt pour chacun de vous, un de ces lieux qui vous serait réservé….

Mais quel intérêt d’avoir un tel espace à soi, s’il est justement inaccessible ? C’est tout le paradoxe de cet Autre Lieu, qui est le plus proche de soi mais également le moins atteignable. Ou plutôt devrais-je dire le moins atteignable spatialement.

Ce lieu qui ne m’est pas spatialement destiné, a ceci de spécial : son intemporalité.
Ce qui le caractérise le mieux c’est de ne pas avoir été conçu, de ne pas être apparu, il EST simplement.

On pourrait penser qu’il se cache parmi nos rêves, comme une pièce inutile, une pièce sans fonction, un espace de vide pensé par Perec… Ce pourrait être aussi un endroit à la Matrix, un sanctuaire d’où l’on refait surface. Mon lieu inexplorable, celui qui m’est destiné me rend mortel, humain.
Il est là sans l’être ou plutôt il a une présence sans être là.

Pour moi c’est un désert jaune, rouge qui exhale une chaleur sourde, je l’appelle mes chants pourpres. Il est dans ma poitrine et y occupe un peu trop de place mais c’est le mien et je ne l’échangerai pas contre le vôtre.

Inatteignable, je peux m’y projeter quelques instants parfois, guère plus sous peine de m’y perdre et de me fondre, cellules comprises dans ses grains de rien, si beaux pourtant.

Inutile ? Peut-être pas en fin de compte !